« De l’usage de la liberté pédagogique en EMC »

« C’est ici cependant qu’il importe de distinguer de plus près entre l’essentiel et l’accessoire, entre l’enseignement moral qui est obligatoire, et les moyens d’enseignement qui ne le sont pas. Si quelques personnes, peu au courant de la pédagogie moderne, ont pu croire que nos livres scolaires d’instruction morale et civique allaient être une sorte de catéchisme nouveau, c’est là une erreur que ni vous, ni vos collègues, n’avez pu commettre. »

Jules Ferry, circulaire aux instituteurs, 1883

Ce clin d’œil décontextualisé à Jules Ferry et à la « pédagogie moderne » permet d’aborder la question de la liberté pédagogique dans la mise en œuvre de l’EMC. Le principe même de cet enseignement la suppose grande et les programmes proposent une gamme très large de situations possibles. Toutes ont cependant en commun de « privilégier la mise en activité des élèves ».

Il s’agit en effet non pas de faire connaître les valeurs de la République, mais de les faire partager et « de former un sujet moral, capable d’agir dans la relation à l’autre, et un citoyen qui comprend l’intérêt et le sens des règles ».

L’EMC se place donc résolument dans l’optique d’une autonomisation de l’élève. Loin de diriger les consciences, il s’agit de les éveiller. Or, en 1932 déjà, Piaget distinguait dans Le jugement moral chez l’enfant une morale de soumission et une morale de coopération. Si la première engage l’enfant dans le respect unilatéral à l’égard de l’adulte et des règles qu’il prescrit dans un rapport hétéronome aux normes, la seconde l’engage dans le respect mutuel et dans la conquête d’une autonomie qui n’est pas seulement intellectuelle mais construite « du dedans » ( cf. Laurence Loeffel ).

Pour atteindre cet objectif, il est donc indispensable :

  • d’éveiller la raison critique, de privilégier le libre examen et de distinguer les registres de morale ;
  • de mettre en place une progression dans la maîtrise de la langue (lecture de textes, présentation de dilemmes moraux, débats, discussions à visées philosophiques…), d’apprendre à argumenter et à dialoguer ;
  • de faire éprouver les valeurs aux élèves en les impliquant dans la construction de leur autonomie dans le rapport aux règles ;
  • de reconsidérer plus explicitement la classe comme une communauté de travail dotées de règles bénéficiant à chacun mais aussi lieu d’apprentissage du principe d’intérêt général en valorisant les différentes formes d’engagement des élèves ;
  • de ne pas nier la tension entre le réel et l’idéal, et d’inscrire les valeurs dans le jeu des acteurs individuels et collectifs qui leur donnent corps et les font évoluer, en se saisissant de situations concrètes.

Il s’agit par-là de répondre à la difficulté récurrente d’un partage réussi des valeurs en prenant également en compte les trois dimensions qui les définissent toutes (la dimension intellectuelle bien sûr, mais aussi la dimension psycho-affective et la dimension conative). Dans ce cadre, la liberté pédagogique des professeurs demeure importante.