L’ambition de l’EMC pose la question de la neutralité de l’enseignement. Comment en effet, dans une société démocratique, pluraliste et ouverte, concilier cette obligation avec la transmission de valeurs ? Comment éviter un conflit potentiel de légitimités chez l’élève entre la morale familiale et l’enseignement moral reçu à l’Ecole ?
L’éthique laïque permet de surmonter ces questions. Vous tirerez sans nul doute profit des travaux menés en Académie autour de la pédagogie de la laïcité. Rappelons ici :
- Qu’il n’existe pas d’unité morale de la société française et que la morale enseignée ne peut donc être que laïque. Il n’existe en effet aucune intention d’ériger une religion civile ou une adhésion aux valeurs de la République calquée sur un modèle de nature religieuse (cf. C. Kintzler). La diversité des valeurs est reconnue et discutée en EMC ; elle est même une richesse inestimable pour la formation morale. L’Ecole se refuse donc à affirmer sans discussion des valeurs, elle éduque au contraire la raison critique. Elle ne saurait verser dans le dogmatisme.
- Que dans le même temps, l’Ecole doit éviter le piège du relativisme. Le principe de neutralité scolaire ne doit pas être confondu avec une « laïcité d’abstention » (Ricoeur) empêchant le professeur de s’engager dans l’affirmation des valeurs transmises. « On vise là une laïcité de conscience, de conviction, et pas de réglementation ou de prescription » (Cl. Lelièvre). Le programme n’est en effet pas seulement procédural et délibératif : il prône tout de même un modèle de vie civique. En ce sens, il est en partie perfectionniste.
- Mais qu’il ne s’agit pas de renouer avec le perfectionnisme de l’école de Ferry, fondé sur l’idée de « devoirs » et sur le projet d’une éducation au bien. Il s’agit au contraire d’insister sur la signification morale de la confrontation des idées et de l’échange. Il s’agit donc ici de substituer à une éthique de la transmission une éthique de la discussion (Habermas).
En pratique, la laïcité permet de distinguer clairement ce qui relève des morales convictionnelles (sur lesquelles l’Ecole n’est pas appelée à se prononcer) et des valeurs républicaines (sur lesquelles l’Ecole est mobilisée). De façon très prosaïque, il est possible de prendre deux exemples concrets : un élève exprime devant son professeur l’idée que la femme serait inférieure à l’homme ; un autre élève se dit hostile à l’idée du mariage et au fait de passer sa vie avec la même personne. Chacun est en mesure de distinguer dans quelle situation le professeur est tenu de tenter de faire évoluer les conceptions de son élève par un éveil de la conscience et dans quelle autre son devoir de neutralité lui interdit de se prononcer sur la conception du bien exprimée par son élève.
D’un point de vue plus théorique, on peut estimer que les morales convictionnelles se prononcent sur des conceptions du Bien (lesquelles ne sauraient être uniques dans une démocratie et sur lesquelles l’Ecole n’a pas à se prononcer) alors que la morale républicaine contribue à la connaissance du Juste. Les morales convictionnelles sont propres à un groupe, fût-il majoritaire, et sont légitimes dès lors qu’elles ne dérogent pas au droit commun et ne portent pas atteinte à autrui. La « morale laïque » a quant à elle une portée universelle et s’appuie sur le droit. Il est essentiel, dans le cœur de la classe, de distinguer ces deux dimensions, de les faire distinguer aux élèves et de montrer en quoi elles ne s’opposent pas et ne se concurrencent pas.
En adoptant un positionnement adapté préservant la liberté de conscience des élèves, un professeur peut ainsi surmonter le pseudo-paradoxe opposant neutralité et EMC. Ce positionnement ne peut être que laïque.