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Pourquoi lire et étudier « Vendredi ou la vie sauvage » de Michel Tournier en classe de 6ème ?

Présentation d’un projet de lecture en classe de sixième de « Vendredi ou la vie sauvage » de Michel Tournier par Élise Lagache, collège Léon Blum, Wingles

Pourquoi faire lire « Vendredi ou la vie sauvage » à une classe de sixième ?

Présentation video du projet : Identifier les enjeux de formation littéraire et de formation personnelle au cœur de l’œuvre

Présentation de la séquence Vendredi ou la vie sauvage Michel Tournier

(Les documents annexes sont proposés dans le document PDF en lien proposé plus à la fin de l’article)

 

Objectifs : étudier l’avènement progressif de l’humanité de Robinson et repenser par la lecture du roman ce qu’est être un homme.

 

Séance 1 / Qu’est-ce qu’être un homme ?

Afin d’introduire le questionnement qui sera le nôtre au cours de la séquence, l’étude d’un corpus de textes, permettant de lancer cette réflexion autour de la notion d’humanité, est proposée aux élèves. Les textes ont été choisis en fonction de la définition de l’humanité qu’ils proposent. En effet ils offrent trois visions différentes qui entrent en résonnance avec celle développée par Michel Tournier au sein de son roman. Chaque lecture est guidée par le même questionnement qui s’avèrera être le fil rouge de l’ensemble de la séquence. Il s’agit, donc pour chaque texte, de se demander quels sont les critères de l’humanité établis par les auteurs.

Le premier texte choisi est un extrait de la « Lettre de Gargantua à son fils » qui se trouve dans le Chapitre 8 du roman Pantagruel de Rabelais. (Annexe 1). La lecture de ce texte permet de poser l’acquisition d’un savoir et d’une maîtrise embrassant tous les domaines de la connaissance humaine comme la condition nécessaire afin de devenir un homme.

Le second texte est le poème « L’homme et la mer » de Baudelaire, extrait des Fleurs du Mal (annexe 2). Ce poème présente la liberté et la capacité humaine à se replier sur soi afin de sonder l’obscurité de l’âme comme l’essence de l’humanité.

Le troisième texte, un extrait de La Nausée de Jean-Paul Sartre (annexe 3), offre la possibilité de réfléchir à la place occupée par la pensée dans la construction de l’homme. Pour le philosophe, elle est ce qui fonde l’humanité et permet à l’homme d’exister.

Afin de clore cette séance, les élèves sont incités à réfléchir à leur propre vision de l’humanité et à présenter, sous la forme d’un texte court, ce qui qui la fondent.

Cette première séance introduit donc le questionnement philosophique et pose les premiers éléments réflexifs qui permettront de mettre en perspective la conception de l’humanité développée par Tournier dans son roman.

Séance 2 / lancement de l’étude.

Une séance est consacrée au lancement de l’étude du roman. Les élèvent relisent en classe le début du roman puis échangent sur leurs premières impressions. Nous revenons sur le questionnement qui orientera l’étude : « Quel homme Robinson est-t-il dans ce roman ? »

Séance 3 / Robinson face à la solitude : le risque de déshumanisation.

L’objectif de cette séance est de se demander si la solitude, parce qu’elle prive l’homme de contact avec ses semblables et l’amène à se replier sur lui-même, déshumanise irrémédiablement les individus.  Ce questionnement se déroule en deux temps.

Le premier temps est consacré à la lecture et l’analyse du chapitre 6 du roman dans lequel, poussé par la solitude et l’ennui, Robinson décide de se plonger, à l’instar des pécaris, dans de la souille dont les gaz tournent l’esprit. Afin de mener à bien cette étude, la question suivante est posée avant la lecture aux élèves : « Robinson est-il encore un homme dans ce chapitre ? » L’idée que la solitude fait perdre à Robinson toute conscience de la réalité et le fait basculer vers la folie émerge. Il s’animalise et perd ainsi ses caractéristiques humaines. Cependant cette animalisation n’est pas totale et des traces d’humanité demeurent. L’humanité de Robinson refait d’ailleurs surface dès lors qu’il pense, lors d’une hallucination, que d’autres êtres humains se dirigent vers l’île. La présence d’autrui apparaît donc indispensable à l’actualisation de son humanité.

Afin de prolonger la réflexion, les élèves étudient, dans un second temps, un extrait du chapitre 12 (annexe 4). A ce moment du roman, Robinson vit avec Vendredi et pourtant il ressent le besoin de s’isoler de nouveau dans la grotte. La présence d’autrui semble donc insuffisante afin d’assurer le maintien de l’humanité du naufragé. Le repli sur soi amène une nouvelle fois Robinson au bord de l’animalité. Pour nourrir la réflexion, les élèves sont invités à réfléchir aux différentes plongées que Robinson effectue dans cet extrait. La première plongée est bien sûr celle effectuée au fond de la grotte qui lui permet de se couper du monde. Cette coupure se fait de plus en plus nette au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans la terre. La seconde plongée correspond à une plongée vers les origines de l’humanité puisque la déshumanisation partielle du héros, lors de cette épisode, le fait revenir à un état primitif proche de l’état fœtal mais l’amène également aux portes de la mort. Enfin la dernière plongée s’effectue à l’intérieur de lui-même. Le repli sur soi, s’il comporte certes des dangers, demeure cependant nécessaire puisqu’il fait naître une prise de conscience dont la portée est telle qu’elle peut être interprétée comme une seconde naissance. A la fin de cet extrait, Robinson naît à l’humanité.

Séance 4 / Robinson, Vendredi : deux expériences de l’humanité.

Cette séance est consacrée à une lecture comparative des chapitres 11 et 18 du roman qui permet de confronter les modes de vie de Robinson et de Vendredi.

Le mode de vie de Robinson est fait de travail et d’obligations. Les journées sont organisées en fonction des activités à réaliser telles que la montée du drapeau, la vérification du niveau des viviers d’eau douce, la sieste en habit de général ou encore le recensement des tortues de mer… S’il travaille ainsi constamment, c’est parce qu’il espère éviter l’ennui et surtout de retourner dans la souille. Travailler l’empêche de penser ce qui, selon lui, ne peut que l’éloigner de la tentation de l’animalisation. L’humanité est, dans ce sens, perçue comme un ensemble de signes et d’actes : être un homme, pour Robinson, c’est effectuer les actes et porter les attributs de l’homme qu’il juge civilisé.

Le mode de vie de Vendredi, au contraire, repose sur la simplicité et la proximité avec la nature. Celui-ci est motivé par le plaisir et laisse une large place à l’imagination et à la créativité. Bonheur et joie, rire et danse sont le socle de son humanité.

Afin de prolonger la réflexion entreprise grâce à cette lecture comparative, la question suivante est posée aux élèves : « A quoi donc servaient tous les travaux et toutes les obligations qu’il s’imposait chaque jour ? » Ce questionnement leur permet de revenir sur le mode de vie de Robinson et de le comparer à leurs propres conceptions.

Séance 5 / Robinson face au vertige : une expérience pour devenir un homme libre.

Cette séance est consacrée à la lecture de la fin du chapitre 31 (annexe 5) dans lequel Robinson parvient à vaincre son vertige. Ce travail a pour objectif de répondre à la question suivante : « Robinson est-il le même à la fin de ce chapitre ? » Ce texte nous invite à envisager la victoire de Robinson sur son vertige comme la représentation métaphorique de la victoire du héros sur lui-même. L’ascension de l’araucaria constitue une expérience existentielle qui lui permet de devenir un homme libre. En effet Robinson, cet être tellurique qui s’était plongé dans la souille et enfermé dans la grotte, devient un être aérien voire solaire.

Séance 6 / Nommer librement le monde. 

Cette séance propose une réflexion sur l’appropriation poétique du monde à partir du chapitre 26 et de la dernière phrase du roman (chapitre 35 : Tu t’appelleras Dimanche. C’est le jour des fêtes, des rires et des jeux. Et pour moi tu seras pour toujours l’enfant du dimanche.) L’étude de ces deux extraits permet de comprendre que Robinson s’est détaché du carcan des mots ce qui l’autorise désormais à nommer librement le monde. Il n’enferme plus les mots dans un sens et les envisage comme les porteurs d’une connotation qui permet d’établir de nouveaux liens entre les différents éléments du monde. La liberté de nommer est l’expression de la liberté acquise au terme de son éducation à l’humanité.

Afin d’expérimenter cette liberté, les élèves réalisent, sur le modèle des portraits araucans évoqués dans le roman, leur propre portrait araucan sur la personne ou l’élément de leur choix.

Séance 7 bilan / Robinson est-il toujours le même homme à la fin du roman ?

Au terme de ce parcours littéraire et philosophique, les élèves dressent un bilan du questionnement qui a structuré l’ensemble de la séquence : « Robinson est-il toujours le même homme à la fin du roman ? »Afin de développer et de justifier leur réponse, ils sont encouragés à s’appuyer sur les textes vus en classe ainsi que sur les extraits qu’ils auront relevés librement lors de leur lecture. L’ambition de ce travail est de leur permettre de formuler la métamorphose de Robinson. Alors qu’au début du roman il pensait qu’être un homme se réduisait à la reproduction des règles et des usages de la civilisation anglaise ainsi qu’à la mise en place d’une société hiérarchisée, l’explosion de la grotte et la découverte du camp secret de Vendredi lui font prendre conscience qu’être un homme c’est avant tout être libre : libre de vivre selon les règles de la nature mais aussi de nommer librement le monde.

Image d’illustration : Illustration de Alexander Frank Lydon pour Robinson Crusoe (1865)

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