Les enseignants contractuels trouveront ci-après une fiche destinée à les aider à concevoir une première séance dans le domaine de l’étude de la langue. Nous savons bien que la leçon de grammaire ou celle de vocabulaire ne peut se limiter à des activités proposées à l’occasion de l’étude d’un texte. À tous les niveaux, l’enseignement de la langue doit être mené systématiquement. D’autres scénarios sont bien entendu possibles : l’enseignant est en effet libre d’imaginer et de proposer à la classe un cas qui pose un problème en lien avec l’objet de la leçon, qu’il s’agisse de réaliser un bon accord ou d’identifier la classe grammaticale d’un mot pour ne citer que ces deux exemples.
Texte support :
François MAURIAC, Thérèse Desqueyroux, chapitre IV, 1927 Thérèse Larroque, considérée comme la femme la plus riche et la plus intelligente de la lande, se voit mariée à Bernard Desqueyroux, un riche bourgeois, en vertu d’un arrangement entre familles voisines. Lors du jour « étouffant » de ses noces, elle pressent déjà que tout est perdu… Mais dans le taxi, comme Bernard se rapprochait d’elle, sa main l’éloignait, le repoussait. Ce dernier soir avant le retour au pays, ils se couchèrent dès neuf heures. Thérèse avala un cachet, mais elle attendait trop le sommeil pour qu’il vînt. Un instant, son esprit sombra jusqu’à ce que Bernard, dans un marmonnement incompréhensible, se fût retourné ; alors elle sentit contre elle ce grand corps brûlant ; elle le repoussa et, pour n’en plus subir le feu, s’étendit sur l’extrême bord de la couche ; mais, après quelques minutes, il roula de nouveau vers elle comme si la chair en lui survivait à l’esprit absent et, jusque dans le sommeil, cherchait confusément sa proie accoutumée. D’une main brutale et qui pourtant ne l’éveilla pas, de nouveau elle l’écarta… Ah ! L’écarter une fois pour toutes et à jamais ! le précipiter hors du lit, dans les ténèbres. A travers le Paris nocturne, les trompes d’autos se répondaient comme à Argelouse les chiens, les coqs, lorsque la lune luit. Aucune fraîcheur ne montait de la rue. Thérèse alluma une lampe et, le coude sur l’oreiller, regarda cet homme immobile à côté d’elle cet homme dans sa vingt-septième année il avait repoussé les couvertures ; sa respiration ne s’entendait même pas ; ses cheveux ébouriffés recouvraient son front pur encore, sa tempe sans ride. Il dormait, Adam désarmé et nu, d’un sommeil profond et comme éternel. La femme ayant rejeté sur ce corps la couverture, se leva, chercha une des lettres dont elle avait interrompu la lecture, s’approcha de la lampe : … S’il me disait de le suivre, je quitterais tout sans tourner la tête. Nous nous arrêtons au bord, à l’extrême bord de la dernière-caresse, mais par sa volonté, non par ma résistance ; -ou plutôt c’est lui qui me résiste, et moi qui souhaiterais d’atteindre ces extrémités inconnues dont il me répète que la seule approche dépasse toutes les joies ; à l’entendre, il faut toujours demeurer en deçà ; il est fier de freiner sur des pentes où il dit qu’une fois engagés, les autres glissent irrésistiblement… Thérèse ouvrit la croisée, déchira les lettres en menus morceaux, penchée sur le gouffre de pierre qu’un seul tombereau, â-cette heure avant l’aube, faisait retentir. Les fragments de papier tourbillonnaient, se posaient sur les balcons des étages inférieurs. L’odeur végétale que respirait la jeune femme, quelle campagne l’envoyait jusqu’à ce désert de bitume ? Elle imaginait la tache de son corps en bouillie sur la chaussée et à l’entour ce remous d’agents, de rôdeurs… Trop d’imagination pour te tuer, Thérèse. Au vrai, elle ne souhaitait pas de mourir ; un travail urgent l’appelait, non de vengeance, ni de haine : mais cette petite idiote, là-bas, à Saint-Clair, qui croyait le bonheur possible, il fallait qu’elle sût, comme Thérèse, que le bonheur n’existe pas. Si elles ne possèdent rien d’autre en commun, qu’elles aient au moins cela : l’ennui, l’absence de toute tâche haute, de tout devoir supérieur, l’impossibilité de rien attendre que les basses habitudes quotidiennes un isolement sans consolations. L’aube éclairait les toits ; elle rejoignit sur sa couche l’homme immobile ; mais dès qu’elle fut étendue près de lui, déjà il se rapprochait. |
Une observation du texte
Observez la façon dont l’homme est désigné tout au long du texte. Que remarquez-vous ?
Consigne d’écriture
Après avoir effectué les repérages directement sur le texte, dites ce que vous remarquez en rédigeant quelques phrases.
Ce que c’est ? Partons de l’origine du mot. Un substitut en linguistique est donc un mot ou groupe de mots qui en représente un autre et le remplace pour éviter sa répétition. Par exemple dans le texte de Mauriac, le prénom Bernard est remplacé par « il » ou encore par « l’homme immobile ». Ce sont donc des substituts du prénom utilisé par Mauriac en début de texte. A quoi cela sert-il ? Si le substitut du nom évite les répétitions, il peut également apporter des nuances qu’il convient de saisir car elle ajoute des informations sur les intentions de l’auteur. Par exemple, « Bernard » au début du texte devient vite « il » ou « le ». Il perd ainsi son individualité, sa personnalité. Peu à peu, par l’utilisation des substituts, Mauriac montre la distance qui s’installe entre Thérèse et son mari jusqu’à devenir un inconnu, un étranger à la fin du texte où « Bernard » a fait la place à « un homme immobile ». Nature des substituts 1. Les substituts nominaux Il existe 3 cas différents pour les substituts nominaux : • Le même nom peut êtreprécédé par un déterminant différentpour apporter une précision supplémentaire ; Exemple (non utilisé dans le texte de Mauriac) : Un écrivain restera important pour moi. Cet écrivain-là m’a permis de mieux me connaître. • Le nom peut être remplacé par un synonyme (de même sens ou de sens proche) ; Exemple (non utilisé dans le texte de Mauriac) : Mauriac est un écrivain du 20e siècle. Thérèse Desqueyroux est une œuvre connue de ce romancier. • Le nom peut être remplacé par une réalité qui lui est associée. Exemples : « Bernard, dans un marmonnement incompréhensible, se fût retourné ; alors elle sentit contre elle ce grand corps brûlant (…) » 2. Les substituts pronominaux Les pronoms, par leur nature, remplacent et rappellent un nom. On distingue : • Les pronoms personnels de la troisième personne (il, ils, elle, elles, eux) ; Exemple : « Mais dans le taxi, comme Bernard se rapprochait d’elle, sa main l‘éloignait, le repoussait. » • Les pronoms possessifs (le sien, la mienne, les leur…) ; Exemple (ce cas n’est pas utilisé dans le texte de Mauriac) : L’homme avait une attitude assurée différente de celle de Thérèse, la sienne était empreinte de souffrance. • Les pronoms démonstratifs (celui-là, celle-ci, ceux, celles…) ; Exemple : Bernard avait un sommeil profond, celui-ci semblait inconscient du danger qui le menaçait. • Les pronoms indéfinis (l’un, l’autre, personne, tous, chacun…). Exemple : Les époux semblaient s’éloigner, l’un était heureux, l’autre profondément malheureuse dans son couple. |
Éléments de correction.
Repérage en gras dans le texte
François MAURIAC, Thérèse Desqueyroux, chapitre IV, 1927 Mais dans le taxi, comme Bernard se rapprochait d’elle, sa main l‘éloignait, le repoussait. Ce dernier soir avant le retour au pays, ils se couchèrent dès neuf heures. Thérèse avala un cachet, mais elle attendait trop le sommeil pour qu’il vînt. Un instant, son esprit sombra jusqu’à ce que Bernard, dans un marmonnement incompréhensible, se fût retourné ; alors elle sentit contre elle ce grand corps brûlant ; elle le repoussa et, pour n’en plus subir le feu, s’étendit sur l’extrême bord de la couche ; mais, après quelques minutes, il roula de nouveau vers elle comme si la chair en lui survivait à l’esprit absent et, jusque dans le sommeil, cherchait confusément sa proie accoutumée. D’une main brutale et qui pourtant ne l’éveilla pas, de nouveau elle l‘écarta… Ah ! L’écarter une fois pour toutes et à jamais ! le précipiter hors du lit, dans les ténèbres. A travers le Paris nocturne, les trompes d’autos se répondaient comme à Argelouse les chiens, les coqs, lorsque la lune luit. Aucune fraîcheur ne montait de la rue. Thérèse alluma une lampe et, le coude sur l’oreiller, regarda cet homme immobile à côté d’elle cet homme dans sa vingt-septième année il avait repoussé les couvertures ; sa respiration ne s’entendait même pas ; ses cheveux ébouriffés recouvraient son front pur encore, sa tempe sans ride. Il dormait, Adam désarmé et nu, d’un sommeil profond et comme éternel. La femme ayant rejeté sur ce corps la couverture, se leva, chercha une des lettres dont elle avait interrompu la lecture, s’approcha de la lampe : … S’il me disait de le suivre, je quitterais tout sans tourner la tête. Nous nous arrêtons au bord, à l’extrême bord de la dernière-caresse, mais par sa volonté, non par ma résistance ; -ou plutôt c’est lui qui me résiste, et moi qui souhaiterais d’atteindre ces extrémités inconnues dont il me répète que la seule approche dépasse toutes les joies ; à l’entendre, il faut toujours demeurer en deçà ; il est fier de freiner sur des pentes où il dit qu’une fois engagés, les autres glissent irrésistiblement… Thérèse ouvrit la croisée, déchira les lettres en menus morceaux, penchée sur le gouffre de pierre qu’un seul tombereau, â-cette heure avant l’aube, faisait retentir. Les fragments de papier tourbillonnaient, se posaient sur les balcons des étages inférieurs. L’odeur végétale que respirait la jeune femme, quelle campagne l’envoyait jusqu’à ce désert de bitume ? Elle imaginait la tache de son corps en bouillie sur la chaussée et à l’entour ce remous d’agents, de rôdeurs… Trop d’imagination pour te tuer, Thérèse. Au vrai, elle ne souhaitait pas de mourir ; un travail urgent l’appelait, non de vengeance, ni de haine : mais cette petite idiote, là-bas, à Saint-Clair, qui croyait le bonheur possible, il fallait qu’elle sût, comme Thérèse, que le bonheur n’existe pas. Si elles ne possèdent rien d’autre en commun, qu’elles aient au moins cela : l’ennui, l’absence de toute tâche haute, de tout devoir supérieur, l’impossibilité de rien attendre que les basses habitudes quotidiennes un isolement sans consolations. L’aube éclairait les toits ; elle rejoignit sur sa couche l’homme immobile ; mais dès qu’elle fut étendue près de lui, déjà il se rapprochait. |
J’observe que…
Mauriac, au fil du texte, semble avoir la volonté de faire disparaître Bernard, le mari de Thérèse.
Mais la volonté de Mauriac, l’écrivain, n’est-elle pas celle de Thérèse, personnage principal féminin, qui semble prendre la décision, dans ce texte, d’éliminer son mari : « Ah ! L’écarter une fois pour toutes et à jamais ! » ?
Nommé « Bernard » initialement, il devient peu à peu une présence impersonnelle, en perte d’individualité. Le jeu de la substitution lexicale et grammaticale se met en marche et c’est une volonté de l’auteur.
Il est nommé deux fois « Bernard » en début de texte. Il résiste. « Bernard » devient « le », pronom « encore personnel », avant de redevenir « Bernard ». Mais il ne peut résister longtemps car, finalement, c’est par les yeux de Thérèse que Mauriac nous montre ce moment de la vie du couple. Et Bernard doit disparaître car il empêche l’épanouissement amoureux de Thérèse.
Il sera un « corps brûlant », terriblement animal. Puis sera ensuite « cet homme immobile », un groupe nominal où, sans doute, le terme le plus terrible reste le déterminant « cet » qui met le mari à distance de sa femme.
Bernard sera aussi cet « Adam désarmé et nu ». Mais pourquoi est-il important qu’il soit nu, fragile, sans arme ? Est-il en danger ? Sa femme est-elle un danger ? Il sera également « un corps », il sera une chair déshumanisée. Et il sera finalement « un homme immobile ». L’article indéfini « un » le noie dans la multitude des hommes. L’adjectif « immobile » le ramène à un corps mort. Le groupe nominal « Un corps immobile » finit de convaincre Thérèse qu’il doit disparaître.
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Image d’illustration : affiche du film Thérèse Desqueyroux (1962)