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(2nde) Avec Flaubert, Engager la classe dans l’explication littéraire

Les enseignants contractuels trouveront ci-après une fiche destinée à les aider à concevoir une première séance dans le domaine de la lecture et l’étude de la langue. Les activités présentées hors de tout contexte de séquence et sans analyse de la situation d’enseignement sont parfois accompagnées d’éléments de correction. Ces ressources visent à donner quelques repères et à ouvrir quelques pistes pédagogiques que l’on pourra approfondir par la suite.

Niveau : seconde

Objectif :

Favoriser l’étude d’un texte par une prise de position étayée

Démarche :

Étape 1 : La lecture du professeur

Écoutez attentivement la lecture de ce texte de Gustave Flaubert (annexe 1)

Emma Bovary est une jeune femme rêvant intensément à une grande histoire d’amour. C’est d’abord avec le médecin de son père, Charles Bovary, qu’elle veut réaliser ce rêve. Elle épousera donc cet homme, plus âgé et veuf, qui après le mariage l’emmènera dans sa propriété. L’extrait suivant nous raconte cette arrivée et les premiers jours de la nouvelle vie conjugale d’Emma.

Le jardin, plus long que large, allait, entre deux murs de bauge couverts d’abricots en espalier, jusqu’à une haie d’épines qui le séparait des champs. Il y avait, au milieu, un cadran solaire en ardoise, sur un piédestal de maçonnerie ; quatre plates-bandes garnies d’églantiers maigres entouraient symétriquement le carré plus utile des végétations sérieuses. Tout au fond, sous les sapinettes, un curé de plâtre lisait son bréviaire. Emma monta dans les chambres. La première n’était point meublée ; mais la seconde, qui était la chambre conjugale, avait un lit d’acajou dans une alcôve à draperie rouge. Une boîte en coquillages décorait la commode ; et, sur le secrétaire, près de la fenêtre, il y avait, dans une carafe, un bouquet de fleurs d’oranger, noué par des rubans de satin blanc. C’était un bouquet de mariée, le bouquet de l’autre ! Elle le regarda. Charles s’en aperçut, il le prit et l’alla porter au grenier, tandis qu’assise dans un fauteuil (on disposait ses affaires autour d’elle), Emma songeait à son bouquet de mariage, qui était emballé dans un carton, et se demandait, en rêvant, ce qu’on en ferait, si par hasard elle venait à mourir.

Elle s’occupa, les premiers jours, à méditer des changements dans sa maison. Elle retira les globes des flambeaux, fit coller des papiers neufs, repeindre l’escalier et faire des bancs dans le jardin, tout autour du cadran solaire : elle demanda même comment s’y prendre pour avoir un bassin à jet d’eau avec des poissons. Enfin son mari, sachant qu’elle aimait à se promener en voiture, trouva un boc d’occasion, qui, ayant une fois des lanternes neuves et des garde-crotte en cuir piqué, ressembla presque à un tilbury.

Il était donc heureux et sans souci de rien au monde. Un repas en tête-à-tête, une promenade le soir sur la grande route, un geste de sa main sur ses bandeaux, la vue de son chapeau de paille accroché à l’espagnolette d’une fenêtre, et bien d’autres choses encore où Charles n’avait jamais soupçonné de plaisir, composaient maintenant la continuité de son bonheur. Au lit, le matin, et côte à côte sur l’oreiller, il regardait la lumière du soleil passer parmi le duvet de ses joues blondes, que couvraient à demi les pattes escalopées de son bonnet. Vus de si près, ses yeux lui paraissaient agrandis, surtout quand elle ouvrait plusieurs fois de suite ses paupières en s’éveillant ; noirs à l’ombre et bleu foncé au grand jour, ils avaient comme des couches de couleurs successives, et qui, plus épaisses dans le fond, allaient en s’éclaircissant vers la surface de l’émail. Son œil, à lui, se perdait dans ces profondeurs, et il s’y voyait en petit jusqu’aux épaules, avec le foulard qui le coiffait et le haut de sa chemise entrouvert. Il se levait. Elle se mettait à la fenêtre pour le voir partir ; et elle restait accoudée sur le bord, entre deux pots de géraniums, vêtue de son peignoir, qui était lâche autour d’elle. Charles, dans la rue, bouclait ses éperons sur la borne ; et elle continuait à lui parler d’en haut, tout en arrachant avec sa bouche quelque bribe de fleur ou de verdure qu’elle soufflait vers lui, et qui, voltigeant, se soutenant, faisant dans l’air des demi-cercles comme un oiseau, allait, avant de tomber, s’accrocher aux crins mal peignés de la vieille jument blanche, immobile à la porte.

Gustave FLAUBERT, Madame Bovary, 1857

Étape 2 : Une relecture personnelle stimulée par une question.

  • Relisez ce texte et positionnez-vous spontanément sur cette interrogation :
    « Croyez-vous qu’Emma s’épanouisse totalement dans ce mariage ? »
  • Écoutons le positionnement de certains d’entre vous

Étape 3 : Une exploration personnelle plus précise

  • Choisissez une couleur et surlignez les éléments du texte qui permettent de justifier votre réponse à la question.
  • Utilisez une autre couleur si des éléments découverts semblent privilégier la thèse contraire.
  • Partageons oralement nos découvertes respectives. Vous pouvez prendre spontanément en notes les éléments qui vous convainquent.

Étape 4 : Organiser sa réflexion à l’écrit

Répondez à présent à la question posée en un paragraphe dans lequel vous insérerez les citations que vous jugerez nécessaires. (Diverses exploitations de ces écrits sont possibles pour le professeur mais cette réflexion en marche peut simplement rester en l’état dans le classeur de l’élève.)

Étape 5 : Partage du professeur

Votre professeur partage à l’oral/ou à l’écrit un positionnement précis, écoutez-le/lisez-le. (Support de la présentation en annexe 2 qui pourra être finalement distribué à la classe).

Annexe 2

Repérage : Ce mariage est promis à un bel avenir / Ce mariage est en danger.

Gustave FLAUBERT, Madame Bovary, 1857

Proposition de réponse rédigée

Certains éléments de cet extrait invitent à l’optimisme, soulignant le bonheur de Charles (« Il était donc heureux » ; « composaient maintenant la continuité de son bonheur ») et l’amour qu’il porte à Emma (« son œil se perdait dans ces profondeurs »). D’autres éléments montrent une vie de couple où mari et femme nous apparaissent proches et passent d’un « repas en tête à tête » à un matin au lit « côte à côte sur l’oreiller ». Ils semblent bien « sans souci de rien au monde ». Ils ? Non. « Il ». Charles. Ce pronom au singulier doit nous inviter également à une vision pessimiste de cette union. Qu’écrit Flaubert ? La description du jardin est en ce sens significative. Il est d’abord « plus long que large » … comme un couloir. Le couloir emprisonne, réduit la liberté d’aller à droite et à gauche. Soit on revient en arrière, soit on suit ce chemin tout tracé. Triste métaphore du mariage. Au milieu du jardin trône un cadran solaire. Que faire sinon s’asseoir et regarder le temps qui passe ? Autre vision si peu passionnante de l’avenir d’Emma. Et la végétation est quant à elle « sérieuse » ou « symétrique ». Foin de la folie des passions, de la surprise de la vie de couple. Tout est tracé, symétriquement tracé ! Dans la maison, rien ne s’arrange. Car le bouquet de mariée posé dans la chambre nuptiale est celui de l’autre, l’ancienne femme de Charles ! Notons que la précipitation de Charles à l’ôter du regard d’Emma n’empêchera pas celle-ci de penser déjà à sa propre mort, le jour de son arrivée ! Il restera à Emma à « s’occuper » pour ne pas s’ennuyer, recevant un « boc d’occasion » pour un mariage « d’occasion ». Charles sera-t-il à la hauteur du désir de passion d’Emma ? On peut en douter. N’est-ce pas d’ailleurs ce que dit Flaubert quand il écrit : « Son œil, à lui, se perdait dans ces profondeurs, et il s’y voyait en petit (…) ». Il ne sera pas à la hauteur et fera très vite d’Emma, une plante qui décore sa vie, incapable de permettre à son amour de croître, de s’épanouir : « (…) et elle restait accoudée sur le bord, entre deux pots de géraniums (…) »

Pour prolonger cette étude et obtenir une réponse définitive à notre interrogation :

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image d’illustration : Portrait de Gustave Flaubert par Eugène Giraud, vers 1856