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L’urgence d’une véritable littératie de l’IA pour l’autonomisation des élèves

Cet article est le fruit d’une intelligence collective, réalisé par plusieurs enseignants, et une chercheuse, des Académies de Lille, Nancy-Metz, Nice et Orléans-Tours :

  • Nadège Wauquier, Mélanie Serret, professeures documentalistes, Académie de Lille
  • Laureline Lemoine, Nathalie Baur et Victoria Pfeffer-Meyer, professeures documentalistes, Académie de Nancy-Metz
  • Géraldine Rouard, Caroline Albertini, Emmanuelle Doucet, professeures documentalistes, Cédric Gamblin, professeur de technologie Académie de Nice & Brigitte Trousse, chercheure Inria & Terra Numerica,
  • Nadia Lepinoux-Chambaud, professeure documentaliste, Académie d’Orléans-Tours.

Image d’illustration issue de Pixabay, par geralt : https://pixabay.com/fr/illustrations/binaire-code-binaire-la-num%C3%A9risation-6609473/

Comme indiqué dans le rapport de la Commission de l’Intelligence Artificielle, il est essentiel de « lancer immédiatement un plan de sensibilisation et de formation de la nation ». En effet, il apparaît urgent de former les élèves à une compréhension globale (technique, éthique…) visant à démystifier le fonctionnement et les potentialités des IA génératives. L’objectif étant de les sensibiliser aux enjeux liés à ces technologies émergentes, afin qu’ils deviennent des utilisateurs avisés et critiques.

Nous pourrions nous appuyer sur l’exemple des rédactions, des journalistes qui entrent dans cette bataille de l’information face aux IA. Entre potentialités et respects de la déontologie journalistique, les médias face aux IA génératives signent des chartes de respect et d’engagement. Les journalistes utilisent les outils de l’IA dans leur travail au quotidien. « En 2021, pour réaliser les « Pandora Papers » en explorant environ 12 millions de documents prouvant des mouvements d’évasion fiscale à l’échelle mondiale, l’ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists) a eu recours à un algorithme d’apprentissage automatique » [1]. Pour ne pas tourner le dos aux IA, ces chartes visent à encadrer pour utiliser en responsabilité face aux risques de désinformation, de pillage des contenus éditoriaux par les IA et en transparence pour l’aide au travail du journaliste (collecter, investiguer, fact-checker, produire…).

A l’instar des médias, l’Éducation s’engage dans une ère nouvelle de la recherche d’information pour et avec les élèves. Les éthiques et les pratiques informationnelles et communicationnelles des enseignants comme celles des élèves sont bouleversées par les IA génératives, nécessitant d’être régulées et redéfinies.

Les IA assistent mais ne raisonnent pas. Pouvoir expliquer le résultat, le certifier, pour l’intégrer à la décision exige d’user d’esprit critique [2]. Une formation citoyenne à un usage éthique et critique de l’IA s’impose, pensée « en termes de prudences numériques » et notamment de « prudence info-communicationnelle » paraît aujourd’hui primordial. Il s’agit d’éduquer « à, par, pour les techniques d’IA pour l’éducation » [3] :

Le lien entre l’IA et l’éducation s’établit dans trois domaines [4] : 

  • apprendre avec l’IA (par exemple, en utilisant des outils d’IA dans les salles de classe), 
  • apprendre sur l’IA (ses technologies et ses techniques) 
  • et se préparer pour l’IA (par exemple, permettre à tous les citoyens de mieux comprendre l’impact potentiel de l’IA sur la vie humaine).

Dans les établissements scolaires, il semble opportun de s’investir et de penser collectivement l’utilisation des IA génératives. La problématique reste toujours la même, passer de consommateur passif à créateur actif de l’information, cette fois avec l’IA. Les professeurs documentalistes engagés dans cette bataille de l’information sont au cœur de cet enjeu sociétal.

Les professeurs documentalistes en tant que spécialistes des Sciences de l’Information et de la Communication, peuvent (et sauront) être des acteurs clés dans cette formation. En effet, en tant que spécialistes de la recherche, de l’analyse et de la diffusion de l’information, les professeurs documentalistes peuvent enseigner l’utilisation éclairée et critique des IA génératives en expliquant les forces et les limites de ces technologies et les enjeux techniques, juridiques et éthiques associés. Une de leurs missions étant « d’enseigner, de mettre en œuvre l’acquisition par tous les élèves, d’une culture de l’information et des médias » [5]. Le professeur documentaliste pourra également travailler avec les élèves les notions de recommandations sur les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux, aborder la notion d’autorité ou encore le travail de rédaction d’un prompt, le vocabulaire à utiliser en catégorisant. Ces séances peuvent également donner lieu à un travail transdisciplinaire avec les professeurs de langues vivantes.

Dans le cadre des TraAM Documentation 2023-2024 sur l’intelligence collective, nous avons expérimenté des projets pédagogiques qui permettent d’aborder et de démystifier l’utilisation des IA génératives avec cette problématique sous-jacente : l’IA peut-elle être un membre de mon équipe ?

Nous présenterons nos lectures et nos expérimentations en suivant ce déroulé : d’abord, la compréhension du fonctionnement technique, ensuite, l’utilisation pour comprendre ses forces et ses faiblesses et enfin, les réflexions sur le monde de demain avec l’IA.

I. Accompagner dans la compréhension du fonctionnement technique.

Certains de nos élèves utilisent des IA pour « produire à leur place », d’autres pour les « aider », d’autres ne connaissent l’IA qu’à travers le « buzz ChatGPT » ou l’utilisation des IA proposées par les réseaux sociaux, tel le Chatbot de Snapchat, My AI ou encore l’outil génératif Midjourney. Ils sont nombreux en tout cas à faire preuve d’anthropomorphisme, attribuant à ces outils des capacités de réflexion et une véritable intelligence. On parle ici d’informatique anthropique ou des « systèmes informatiques d’inspiration biologique qui imitent les capacités humaines »[5] . Dans ce contexte, il est important de rappeler que les technologies qui soutiennent les outils IA modernes reposent sur des algorithmes complexes mais dépourvus de conscience et ne sont que des assistants artificiels, capables d’analyser d’immenses quantités de données dans le seul but de générer des réponses crédibles, mais pas forcément fiables !

Nadège Wauquier et Delphine Abraham, professeures documentalistes de l’Académie de Lille, ont sondé un panel d’élèves (266) au travers d’une enquête informelle (avril 2024) destinées aux élèves de 11 à 25 ans. Celle-ci a révélé entre autres que 67 % des sondés demande une formation sur le fonctionnement des IA Génératives. Elle montre que l’outil est avant tout pour eux (et à 45 %) un outil de recherche documentaire avant d’être un assistant à la création ou au brainstorming. Les élèves qui ont répondu saisissent peu ou pas l’opportunité de cette nouvelle technologie de se voir assister dans la création, l’organisation et la structuration d’idées de l’élève « sachant ». Cette enquête conforte le corps des professeurs documentalistes d’un élément nouveau qui risque fort de bousculer les médiations et pédagogies documentaires.

Face aux fantasmes que provoque l’émergence de ces IA génératives, de nombreux chercheurs et scientifiques plaident pour une révision du vocabulaire utilisé. Ils recommandent des termes plus précis, comme « algorithme » ou « assistant artificiel » plutôt que le terme générique « IA ». Cette terminologie plus nuancée permettrait de mieux refléter le fonctionnement de ces systèmes [6].

Au lycée Giraux Sannier (Saint-Martin-Boulogne) de l’académie de Lille, Anne Merlin, professeure de SVT et Mélanie Serret, professeure documentaliste, ont abordé le fonctionnement des IA génératives avec des élèves de 1ère en enseignement scientifique :

Au collège Sidney Bechet (Antibes) de l’académie de Nice, Géraldine Rouard, professeure documentaliste, a travaillé avec des classes de 5ème sur la définition de l’IA en insistant sur les ingrédients nécessaires à son fonctionnement : des algorithmes et des données. Une invitation pour les élèves à réfléchir sur les ressources mises à disposition des IA qu’ils utilisent au quotidien :

Au collège Henri Wallon (La Seyne-sur-mer) de l’académie de Nice, Cédric Gamblin, professeur de technologie, et Caroline Albertini, professeure documentaliste ont travaillé avec une classe de 5ème et deux partenaires (L’antenne 83 des Petits Débrouillards et le centre Inria du collectif Terra Numerica (porté par CNRS, Inria et Université Côte d’Azur) pour aborder l’historique de l’IA, son fonctionnement et les questions liées à son utilisation et à l’éthique des données. Les élèves ont travaillé ces questions sur plusieurs séances pour ensuite mettre à profit les connaissances construites dans une émission télévisée incluant un interview de Brigitte Trousse sur les fake news et droits d’auteurs :

II. Utilisation de l’IA pour comprendre ses forces et ses faiblesses.

L’apprentissage étant souvent plus efficace quand les élèves mettent en pratique les concepts étudiés, plusieurs expérimentations ont permis de mettre les élèves au travail sur une IA ou à partir de contenus générés par une IA. En manipulant et en analysant les réponses produites par les IA à différentes instructions (prompts), les élèves peuvent ainsi :

  • Développer un regard plus critique sur ces technologies en identifiant les forces et les faiblesses des réponses, en détectant les éventuelles erreurs ou biais, et montrer en quoi une posture de sachant est indispensable face à la machine, à qui on ne saura en aucun cas déléguer ses choix,
  • Construire et participer collectivement à un projet en définissant le cadre et la problématique, en travaillant la prise de parole, en favorisant les initiatives individuelles et les prises de décisions au services du groupe de projet,
  • Comprendre les nombreux enjeux éthiques comme la question de la confidentialité, de la propriété intellectuelle, de la responsabilité des prises de décision artificielle, de la fiabilité des informations, les biais et d’en comprendre les mécanismes,
  • Découvrir les potentialités de l’apprentissage par renforcement,
  • Améliorer leurs compétences notamment en rédaction de prompts, tout en gardant un esprit critique sur les réponses fournies,
  • De mettre en perspective cette technologie par rapport aux autres évolutions techniques et aux besoins sociaux et en l’inscrivant dans la grande histoire d’autres innovations (de leur succès et de leurs échecs ).

Il faut aussi que chaque utilisateur prenne conscience des conséquences de l’utilisation des outils numériques, et notamment de l’IA pour tenter d’en avoir une utilisation la plus durable et responsable possible.

Nadia Lépinoux-Chambaud, professeure documentaliste dans l’Académie d’Orléans-Tours au Collège de Montrésor Jean Lévêque, a proposé à des élèves de 4ème d’utiliser une IA générative de contenus (ici PERPLEXITY) pour collecter des informations. Les élèves ont interrogé l’outil par le biais des prompts. Au fil de leur recherche d’informations, ils ont du préciser leurs prompts pour préciser leurs résultats. La professeure documentaliste constate une lecture effective par les élèves des informations générées par l’IA. En effet, ceux-ci, contrairement à leurs habitudes, se positionnaient en mode producteur de contenus en regard du travail demandé et attendu par la professeure documentaliste. Les élèves ne se contentaient pas de copier-coller sans appréhension des résultats obtenus, mais bien en cherchant à les adapter le plus possible à leurs besoins (format et durée de la production, public destinataire,…). Les prompts des élèves étaient de plus en plus précis en fonction des résultats générés par l’IA. Le positionnement de l’enseignant dans l’étape de la recherche d’informations est différent des habitudes prises avec d’autres outils de recherche. Ici, l’intérêt de l’apprentissage info-documentaire est porté sur l’écriture du prompt, dans lequel la syntaxe, la formulation, l’orthographe prennent également une place importante. Les élèves testent et construisent leurs apprentissages en faisant. Ils pratiquent pour développer des compétences dans l’écriture des prompts.

Selon Grégoire Borst [8], l’objectif est de préparer les enfants à naviguer dans un futur où l’IA aura une influence croissante sur tous les aspects de la vie. Il est donc essentiel de les doter des compétences nécessaires pour utiliser ces technologies de manière à compléter et à enrichir, pour leur épanouissement, leurs capacités humaines.

II. 1. Les forces des IA génératives.

L’IA générative a de nombreux avantages, notamment lorsqu’on prend en compte le nouveau triangle enseignant, apprenant, IA génératives. Elle peut notamment :

  • faciliter la différenciation,
  • faciliter les apprentissages,
  • générer du matériel pédagogique comme des quiz, des flashcards,
  • aider à la rédaction de projets,
  • assister la créativité,
  • renforcer l’estime de soi.

Elle permet aussi de poursuivre le travail pour développer des savoirs et des savoir-faire en information-documentation en lien avec la réalisation de prompt :

  • notion de requête,
  • besoin,
  • évaluation du résultat,
  • remédiation.

Nadège Wauquier, professeure documentaliste de l’Académie de Lille a travaillé sur les IA Génératives en vue de diverses productions créatives. Elle a réalisé notamment un projet de réalisation d’une courte vidéo de 3 minutes avec les IAGEN au croisement des Cultures Manga, des Lettres et de l’EMI. Ce projet a été présenté en colloque pour la DRANE à l’INSPÉ Arras HdF en février 2024. Ce projet a notamment permis d’inscrire l’usage des IAGen dans des pratiques créatives en offrant au film une tonalité graphique globale à partir de différentes sources (dessins, photos, images libres de droit). Il a aussi permis de questionner le droit de la propriété intellectuelle à l’heure où le « with Ai » n’est pas généralisé.

Nathalie Baur, Laureline Lemoine et Victoria Pfeffer-Meyer, professeures documentalistes de l’académie de Nancy-Metz ont travaillé dans leurs collèges sur les IA génératives d’images en vue de réaliser des productions numériques. Les activités ont été menées avec des élèves du dispositif ULIS, une classe de 6e et une classe de 3e.

Au collège de l’Arsenal de Metz avec Nathalie Baur, la classe du dispositif ULIS a réalisé des images pour illustrer un travail autour du livre A Table Président ! de Yann Menns. Victoria Pfeffer-Meyer au collège Pierre Mendes France de Woippy avec une classe de 6e a travaillé à la création d’images pour une illustrer une affiche numérique dans le cadre d’un projet interdisciplinaire français-documentation sur le roman Harry Potter de JK Rowling tome 1. Au collège de Baccarat à Baccarat, Laureline Lemoine et sa classe de 3e se sont interrogés sur « les avantages et les risques du développement de l’intelligence artificielle dans notre quotidien ». Ils ont réalisé des synthèses sous format numérique type cartographies visuelles et des minis tables rondes et « mikrodystopies/utopies » illustrées via IA. Le projet est toujours en cours au moment de la publication de cet article. Tous les bilans sont à venir.

Les objectifs fixés et comparés par les professeures documentalistes à l’occasion du TraAM sont :

  • Manipuler une IA générative d’images et s’initier à l’art du prompt.
  • Analyser les représentations de l’IA dans les œuvres de fiction.
  • Acquérir des connaissances sur le fonctionnement et les utilisations de l’IA

Ces projets ont notamment permis de travailler autour du fonctionnement des IA, des algorithmes , mais aussi de réfléchir à articuler l’élaboration de requête, la formulation d’un besoin et l’évaluation du résultat à la construction du prompt. Ces séances ont aussi donné l’occasion aux élèves de réfléchir aux pratiques créatives en questionnant l’éthique de la création et le droit de la propriété intellectuelle.

Nadia Lépinoux-Chambaud, professeure documentaliste dans l’Académie d’Orléans-Tours au Collège de Montrésor Jean Lévêque, a travaillé avec les élèves du Club média 6e-5e. Ils ont écrit un article pour le média scolaire. La professeure leur a proposé d’utiliser une intelligence artificielle productrice de contenus (ici VIDNOZ) pour transposer leur article dans un reportage vidéo. Ils ont réalisé une vidéo à partir du texte de l’article adapté mais pas modifié avec un avatar en guise de présentateur. Le Club média a proposé une vidéo très anxiogène… Ils se sont donc rendus compte que leur proposition image, texte et musique combinés dans un format vidéo pouvait influencer l’avis de leurs spectateurs. A partir de ce constat, ils ont présenté leur reportage vidéo à une classe de 4ème. Ces mêmes élèves ont eux-aussi fait remarquer le caractère un peu angoissant de cette vidéo. La professeure a proposé aux 4èmes de réviser cette vidéo sans modifier ni le texte ni les photos. Ce parallèle a été très efficace auprès des élèves pour évoquer la facilité à manipuler l’information et la nécessité de faire appel à son esprit critique.

II. 2. Les faiblesses des IA génératives.

Bien que les IA génératives offrent des capacités impressionnantes, elles présentent également certaines limites et faiblesses qu’il est important de prendre en compte comme le fait de présenter des informations non exhaustives, d’avoir des « hallucinations » ou des biais.

Des informations non exhaustives.

Les informations générées par une IA peuvent être incomplètes ou manquer de nuances sur certains sujets. Elles produisent du contenu basé sur des données d’entraînement vastes mais qui ne couvrent pas l’intégralité des connaissances humaines. Chaque IA est également créée par des humains qui font des choix, ce qui peut altérer sa neutralité.

Il est essentiel de rappeler aux élèves que l’IA ne peut pas être utilisée, pour le moment, comme un outil de recherche d’informations isolé. En effet, celle-ci proposera une réponse présentée comme correcte et unique, sans son contexte de recherche.

La multiplication des sources, la confrontation des perspectives et l’esprit critique restent plus que jamais indispensables pour se forger une compréhension nuancée et approfondie d’un sujet ou d’une problématique.

Au lycée Giraux Sannier de l’académie de Lille, Anne Merlin, professeure de SVT et Mélanie Serret, professeure documentaliste, ont proposé aux élèves de 1ère les réponses de plusieurs IA à la question « qu’est-ce-que la lithothérapie ? ». Cette séance a été menée en enseignement scientifique dans le cadre d’un travail sur « science ? Opinion ? Croyance ? ».

Des hallucinations.

On parle d’hallucination lorsque l’IA produit des informations erronées, incohérentes ou complètement inventées. Une hallucination de l’IA se manifeste lorsque le modèle génère des affirmations fausses présentées avec autant d’assurance que des faits avérés. Ce phénomène est métaphoriquement comparé aux hallucinations humaines, où la perception de la réalité est déformée. Les hallucinations résultent des limites actuelles des modèles d’IA, incapables de distinguer le vrai du faux, ainsi que des biais et lacunes présents dans les données d’entraînement.

Nadège Wauquier, professeure documentaliste de l’Académie de Lille a travaillé sur un projet d’Autopublication d’un récit d’anticipation co-écrit avec les IAGEN en 3è prépa métiers au carrefour des Lettres et de l’EMI. Cette expérimentation a permis de mettre en lumière des erreurs commises par l’IA, notamment en grammaire ou encore sur des hallucinations.

Des biais.

Dans son ouvrage De l’autre coté de la Machine , Aurélie Jean (2019), aborde la notion des biais algorithmiques, et des données d’entraînements. Elle aborde cette question également dans une série de podcasts qui reviennent sur les forces et les faiblesses des IA et notamment un épisode de janvier 2024 intitulé « Midjourney : créateur de préjugés ou miroir de nos propres biais ? » L’autrice souligne que les biais algorithmiques découlent principalement des biais présents dans les données utilisées pour entraîner les modèles d’IA. Si ces données reflètent des stéréotypes, des discriminations ou une représentation déséquilibrée de certains groupes, l’algorithme apprendra et reproduira inévitablement ces biais dans ses résultats. Dans le cas de Midjourney, un modèle d’IA générative pour créer des images, l’épisode explore comment les représentations stéréotypées ou offensantes peuvent émerger si le modèle a été entraîné sur des données reflétant nos propres biais sociétaux. L’IA devient alors un « miroir déformant » amplifiant nos préjugés plutôt qu’un outil neutre. Aurélie Jean insiste sur la responsabilité des développeurs, mais aussi des utilisateurs, de rester vigilants face aux biais algorithmiques et d’être exigeant vis à vis des outils utilisés grâce à un esprit critique aux aguets.

Au collège de l’Archet de l’Académie de Nice, Emmanuelle Doucet, professeure documentaliste, a travaillé avec des classes de 4ème et de 3ème sur un projet explorant l’apport de l’IA dans la construction de leur projet d’orientation. L’objectif étant d’accompagner les élèves à faire des choix éclairés en fonction de leurs aspirations, talents et facteurs d’épanouissement personnel. Également, la réflexion s’est articulée autour de la contribution de l’IA pour lutter contre l’autocensure et stimuler l’ambition scolaire. L’intervention de la Maison de l’Intelligence Artificielle (MIA) a précisé les potentialités et les limites de l’IA. De manière critique, les élèves ont analysé des deepfakes, apprenant ainsi l’importance de la vérification des sources pour s’assurer de la fiabilité des informations générées par l’IA. En outre, ils ont pu repérer des biais et des hallucinations en comparant les résultats générés par différentes IA, soulignant la nécessité d’une vérification humaine et donc de développer l’esprit critique. Enfin, les élèves ont utilisé l’IA pour rédiger une lettre de motivation de stage, tout en veillant à protéger leurs données personnelles, et ce, afin de prévenir l’usurpation d’identité et la manipulation de l’information. La réflexion se prolonge autour de l’impact de l’intelligence artificielle sur le marché du travail : identifier les compétences techniques et transversales qui seront les plus demandées à l’avenir avec l’objectif de préparer les élèves à se former pour les métiers émergents [9]. Et pour Grégoire Borst, ce ne sont pas tout à fait les mêmes compétences qui ont besoin d’être développées selon que l’on souhaite participer à l’épanouissement humain ou au capital humain.

III. Quel futur avec l’IA ?

Si certains métiers semblent effectivement menacés par les progrès de l’IA générative, comme le montre cette vidéo très populaire en mai 2024 sur les métiers du doublage au cinéma, il est bien sûr impossible de prédire l’avenir et les prochains bouleversements de nos sociétés.

Ce que semblent indiquer nos lectures, c’est que l’IA ne peut pas, en l’état, remplacer certaines capacités bien humaines comme la créativité originale, l’empathie, le jugement critique, la prise de décisions complexes…

Nadia Lépinoux-Chambaud, professeure documentaliste dans l’Académie d’Orléans-Tours au Collège de Montrésor Jean Lévêque, a proposé à des élèves de 4ème d’utiliser une IA générative de contenus (ici VIDNOZ) pour produire un tutoriel vidéo. Suite à une collecte d’informations, les élèves ont du mettre en forme leurs résultats de recherche en réalisant un tutoriel vidéo mis en scène avec un avatar parlant. Outre, l’obligation de création par le choix de la production finale imposée, obligeant les élèves à reformuler pour compléter l’étape du copié-collé, les élèves ont au fur et à mesure de l’écoute de leurs travaux, compris l’intérêt de l’intelligence humaine sur la machine. En effet, l’élève comprend que la machine ne peut pas perfectionner son travail sans son regard critique. Les défauts de langage, les erreurs de syntaxe, le rythme du phrasé, l’affichage inclusif des sous-titres avec les fautes d’orthographe visibles,… sont autant de révélateurs pour l’élève de son rôle à jouer pour affiner son travail et de ses responsabilités pour devenir acteur de sa production. Il est indéniable enfin que la puissance des outils proposés par les IA génératives représente une vraie plus-value dans le développement des apprentissages « info-com » (favoriser et améliorer l’autonomie de l’élève, éviter les barrières des droits images et voix des élèves, utiliser des modèles de design informationnel inspirants, diminuer les temps de conception et faciliter la réalisation de productions informationnelles,…).

A l’instar des techniques documentaires qui ont toujours été révolutionnaires dans leurs époques, et plutôt que de chercher à remplacer l’humain, l’IA générative devrait être envisagée comme un outil puissant, capable d’amplifier et de compléter nos capacités cognitives.

L’IA peut par exemple être mise au service de la lutte contre la désinformation et le harcèlement. Serena Villata, chercheuse spécialisée en intelligence artificielle (CNRS & Institut 3IA d’Université Côte d’Azur) travaille sur l’extraction d’arguments pour distinguer les informations factuelles de la désinformation dans les textes politiques et les réseaux sociaux​​. Elle utilise également le traitement du langage naturel (NLP) et l’analyse des réseaux sociaux pour détecter les langages abusifs et les fausses nouvelles en ligne​. Ces recherches aident à identifier et à atténuer les comportements nuisibles sur les plateformes sociales​ [10].

L’IA doit être considérée comme un partenaire technologique au service de l’intelligence humaine, mais dont les limites et les biais inhérents doivent être pleinement pris en compte. C’est donc en réfléchissant à articuler compétences info-documentaires et pratiques développées avec et par l’IA, mais aussi, en insistant sur les compétences typiquement humaines, qui demeurent non automatisables à ce jour, que nous devons peut être concentrer nos efforts éducatifs auprès des élèves. Une réflexion sur les compétences transversales déjà mises en avant depuis plusieurs années notamment sous l’appellation de « soft skills » ou de « compétences de vie » [11] doit faire l’objet d’une réflexion au sein de la profession enseignante.

IV. Conclusion.

Nous retiendrons autour des mots de l’IA des priorités éducatives : intelligence artificielle générative de contenus, algorithmes, données, prompts, catégorisation, deep learning ou apprentissage assisté personnalisé, aide à la création, bataille de l’information, esprit critique.

La compréhension et la maîtrise de l’IA sont déjà des indispensables des compétences indispensables au XXIème siècle. Il faut comprendre l’IA et la tester pour en dessiner les contours. L’enseignement des fondamentaux de la pédagogie et de la didactique info-documentaire, de l’EMI, de la maîtrise de la langue, de l’esprit critique est crucial pour accompagner la littératie de l’IA. Ces enseignements incluent un apprentissage responsable et éthique des IA, par le contrôle de la qualité des données, la validité et la pluralité de l’information, la cybersécurité, le respect des données personnelles, de la propriété intellectuelle ou encore de la liberté de s’exprimer et de s’informer… Ils visent également à l’autonomie des élèves dans les usages quotidiens des systèmes d’IA en évolution constante et rapide [12].

Références

[1] PETTINEO, Camille. Les médias face à l’intelligence artificielle : 20 chartes passées au crible. Dans la Revue des médias. Disponible sur  : https://larevuedesmedias.ina.fr/les-medias-face-lintelligence-artificielle-20-chartes-passees-au-crible

[2] BODIN, Franck,(n.d). Les IA génératives, un compagnonnage possible ?. CANOPE NORMANDIE. Disponible sur : https://documentation.ac-normandie.fr/IMG/pdf/ia_gen_infographie_matrice.pdf

[3] CECI, J.-F., & HEISER, L. (2024, mars). Une intégration de l’IA en éducation, pensée en termes de “ prudences numériques ”. Colloque Tepe. Disponible sur https://hal.science/hal-04518388

[4] UNESCO. L’intelligence artificielle dans l’éducation. Disponible sur https://www.unesco.org/fr/digital-education/artificial-intelligence

[5] MEN. (2024). Les missions des professeurs documentalistes. BOEN n°2017-051 du 28 mars 2017. Disponible sur https://www.education.gouv.fr/bo/17/Hebdo13/MENE1708402C.htm

[6] DELAPORTE, X. (Réalisateur). (2017, mars 6). Un week-end de doute au sujet de l’intelligence artificielle [Podcast].Dans,  La vie numérique. Disponible sur  https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-vie-numerique/un-week-end-de-doute-au-sujet-de-l-intelligence-artificielle-7284381

[7]JEAN, Aurélie. (Janvier, 2024). En 2024, banissons les termes intelligence artificielle. Radio France Podcast. Disponible sur : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-biais-d-aurelie-jean/le-biais-d-aurelie-jean-chronique-du-mardi-02-janvier-2024-9653995

[8] Grégoire Borst est professeur de neurosciences cognitives de l’éducation (Université paris Cité) et directeur du Laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant (LaPsyDÉ – CNRS) à Paris.

BORST, Grégoire. (octobre,2023). Éducation : Faut-il reculer sur le numérique à l’école.  INSERM (58)?. Disponible sur https://www.inserm.fr/magazine/inserm-le-magazine-n58/

[9] OCDE. (mai, 2024). Perspectives de l’emploi 2023 : Intelligence artificielle et emploi . OECD.Org. Disponible sur : https://www.oecd.org/perspectives-de-l-emploi/2023

[10] INRIA. (2022). Séréna Villata, pionnière d’une IA qui argumente et qui débat. Institut National de Recherches en Sciences et Technologies du Numérique. Disponible sur https://www.inria.fr/fr/serena-villata-prix-inria-2021-jeunes-chercheuses-intelligence-artificielle

[11] DEVELAY, Michel, (2021). Vivre ensemble par les savoirs. Conférence donnée à l’occasion du Colloque IDEKI les 2 et 3 décembre 2021 à l’Abbaye des Prémontrés à Pont-à Mousson. Disponible sur : https://ideki.org/fiches/videos-du-colloque/

[12] Psyché, V., Tremblay, D-G., et Payen, V. (2023), Biennale de l’éducation. L’évolution rapide de l’intelligence artificielle, Innovation pédagogique et transition. Disponible sur : https://www.innovation-pedagogique.fr/article18061.html